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Prédications

Jean 14, 1-10

Message du 5 juin 2017

Lundi de Pentecôte

Jean 14, 1-10

 

« Je suis le chemin la vérité et la vie » et le dialogue interreligieux

L’eucharistie est essentielle, car elle incarne notre communion, c’est-à-dire notre lien au Christ et aux autres. Mais ce terme de « communion » comporte aussi une autre étymologie. Le radical latin munus désigne entre autres les obligations, les charges ou le mandat commun[1]. Et c’est beau de se dire que par-delà la diversité des dons personnels et des appels individuels, nous repartons ensemble dans la communion d’un même service. Et cela nous encourage à l’heure où notre lumineuse retraite va s’achever.

Christ l’envoyé du Père nous envoie à notre tour pour rendre témoignage de notre communion avec lui. Mais en quoi consiste ce témoignage ?

Dans les versets que nous avons lus aujourd’hui, le fait de se mettre au service de celui qui nous dit : « je suis le chemin, la vérité et la vie » nous place au cœur de notre témoignage spécifique.

Mais en ce qui me concerne, je suis saisi par une certaine appréhension. Qu’en est-il de la vérité ? Les autres n’ont-ils pas aussi une parcelle de vérité dans leur quête de Dieu ? Les autres religions, en particulier le judaïsme avec qui nous partageons la lecture des trésors du Premier Testament, ne contribuent-elles pas de façon décisive à la quête de la vérité ?

Si nous relisons le texte de ce jour, comment concilier d’une part la nécessaire tolérance et le respect des convictions d’autrui et d’autre part l’affirmation biblique « je suis le chemin, la vérité et la vie » ? Pour faire court, qu’en est-il de l’Evangile de ce jour mis en lien avec la nécessité du dialogue interreligieux ?

Pour répondre à cette question, je vais tâcher d’enlever une ou deux ronces et quelques pierres qui entravent régulièrement le chemin lorsque nous lisons ou entendons cette phrase du Christ, particulièrement lorsque nous la citons hors de son contexte[2].

Enlevons d’abord les épines emmêlées de la  fausse tolérance répandue en nos contrées. La tolérance totale est une illusion, car on ne peut pas, et heureusement, tout accepter et tout admettre. Personne ne peut s’arroger d’être au-dessus des lois. Et nous l’avons vu au cours de notre retraite, le mal doit être reconnu et pour cela nommer et dénoncer comme tel.

Il arrive aussi que la tolérance serve d’alibi et soit utilisée comme une sorte de protection pour ne pas entrer en matière sur les sujets devenus difficiles à aborder, entre autres lorsqu’il s’agit de questions religieuses. Sous couverture d’ouverture tous azimuts, nos contemporains rejettent souvent les Eglises. A la fausse tolérance, qui ne veut surtout pas être dérangée dans son prêt à penser, je préfère de loin le respect. De dernier implique que nous allions avec délicatesse vers celles et ceux que nous sommes chargés de rencontrer et que nous les écoutions d’abord pour construire une relation de confiance.

« Je suis le chemin, la vérité et la vie ».

Face à cette affirmation, une deuxième pierre qui bloque sa compréhension peut être enlevée. Celui qui parle ici est le Christ et cela a une très grande importance, car cela veut dire que c’est Dieu lui-même qui se fait chemin, vérité et vie pour nous. L’originalité de l’Evangile se joue précisément dans cette initiative de Dieu qui ne désespère jamais de l’être humain et qui ne se lasse jamais de lui donner l’occasion d’emprunter le chemin de la foi. Ici la vérité est bien plus que simplement l’adéquation entre un dire et un faire (ce qui reconnaissons-le est déjà beaucoup !), la vérité proposée par le Christ n’est autre que la vérité proposée par Dieu le Tout Autre. Christ vit dans une communion sans confusion, et une dépendance absolue à Dieu. C’est lui le véridique, autrement dit celui à qui l’on peut se fier totalement. Confesser sa foi, c’est aussi confesser un écart, une distance entre mes représentations humaines de Dieu et ce que j’en dis par le langage. De plus, Dieu n’a pas besoin d’être défendu, il se défend tout seul. Et je n’ai pas besoin de déployer une argumentation sophistiquée pour défendre son existence. Karl Barth avait raison quand il disait en substance « Seul Dieu parle bien de Dieu ». Seul Dieu est absolu. Autrement dit, Dieu seul est complètement délié. Toute vérité humaine  a son fondement en Lui.

Il faut alors oser tirer toutes les conséquences de cette affirmation théologique. Si Dieu est Dieu, et seul absolu, cela signifie aussi que tous nos discours humains sur Dieu sont relatifs et que personne ne peut s’arroger le droit d’incarner la vérité ou de prétendre la posséder. Et cette tâche qui fait de nous des envoyés de Celui qui est l’Envoyé par excellence nous donne la teneur de notre témoignage : attester de la présence aimante de Dieu.

Arrivés à ce point, nous pouvons enlever encore une autre pierre qui obture régulièrement la lecture que nous faisons de ce texte.

L’Evangile de Jean s’adresse à la communauté des disciples. C’est-à-dire que les disciples doivent les premiers s’appliquer à eux-mêmes ce qu’ils ont entendu. Ils sont appelés à expérimenter que le Christ est le meilleur chemin qui conduit à la vérité. Or, la foi est un apprentissage qui dure toute une vie. Ici aussi la mention des destinataires est capitale. Car la mention des récepteurs indique qu’aucune religion n’est faite pour être regardée de loin. La compréhension des religions, qui tire du côté des cartes postales, induit en erreur. Il s’agit d’aller y voir vraiment, de marcher vraiment dans le paysage. Ainsi, on peut bien sûr contempler le Cervin et le trouver très beau sur une illustration, mais il viendra peut-être un jour où l’envie de le voir de près viendra. Et là il faudra bien se décider pour savoir de quel côté on s’engage, et par quel chemin on va l’approcher. Pour voir et expérimenter ce que la foi chrétienne offre, il s’agit de parcourir « pour de vrai » le chemin. Le Saint-Esprit conduit à cette décision ; il confère cette audace et il donne l’impulsion du courage pour qu’on aille y voir par soi-même.

Je récapitule brièvement :

« Je suis le chemin, la vérité et la vie » est une phrase qui appartient à L’Envoyé de Dieu, et à lui seul. C’est lui qui en a l’exclusivité, elle n’appartient ni à moi-même, ni à mon prochain. Je ne peux m’en servir comme d’un bâton pour contraindre les autres. Ce verset est adressé aux disciples pour les inviter à quitter leurs positions de spectateurs et à reconnaître qu’il vaut la peine de marcher sur le chemin de la vérité que Dieu trace pour nous.  La vérité apporte une force qui n’est autre que celle de la vie. Dans l’Evangile de Jean, elle est couplée au commandement d’amour, et on ne saura assurément entrer dans le dialogue religieux sans y mettre tout le savoir faire, toute la volonté et toute notre capacité d’aimer.

C’est dans l’esprit du commandement d’amour que nous chantons le très beau tropaire orthodoxe de Pentecôte :

« Béni sois-tu pour tes bienfaits, ô Christ notre Dieu,

toi qui fis descendre sur tes Apôtres le Saint-Esprit,

transformant par ta sagesse de simples pêcheurs d’hommes

dont les filets prendront le monde entier

pour qu’il chante ta louange. »

Amen.

 

 

[1] Sur ce point, voir Christopher Lasch & et Cornelius Castoriadis, La culture de l’égoïsme, trad. Myrto Gondicas, Paris, Flammarion, coll. Climats, 2012, p. 98-99.

[2] Cette prédication est largement redevable à : Jean Zumstein, L’Evangile selon Saint Jean (13-21), Genève, Labor et Fides, CNT IVb, 2007, p. 63-69.

Message du 5 juin 2017

Lundi de Pentecôte

Jean 14, 1-10

 

« Je suis le chemin la vérité et la vie » et le dialogue interreligieux

 

 

L’eucharistie est essentielle, car elle incarne notre communion, c’est-à-dire notre lien au Christ et aux autres. Mais ce terme de « communion » comporte aussi une autre étymologie. Le radical latin munus désigne entre autres les obligations, les charges ou le mandat commun[1]. Et c’est beau de se dire que par-delà la diversité des dons personnels et des appels individuels, nous repartons ensemble dans la communion d’un même service. Et cela nous encourage à l’heure où notre lumineuse retraite va s’achever.

Christ l’envoyé du Père nous envoie à notre tour pour rendre témoignage de notre communion avec lui. Mais en quoi consiste ce témoignage ?

Dans les versets que nous avons lus aujourd’hui, le fait de se mettre au service de celui qui nous dit : « je suis le chemin, la vérité et la vie » nous place au cœur de notre témoignage spécifique.

Mais en ce qui me concerne, je suis saisi par une certaine appréhension. Qu’en est-il de la vérité ? Les autres n’ont-ils pas aussi une parcelle de vérité dans leur quête de Dieu ? Les autres religions, en particulier le judaïsme avec qui nous partageons la lecture des trésors du Premier Testament, ne contribuent-elles pas de façon décisive à la quête de la vérité ?

Si nous relisons le texte de ce jour, comment concilier d’une part la nécessaire tolérance et le respect des convictions d’autrui et d’autre part l’affirmation biblique « je suis le chemin, la vérité et la vie » ? Pour faire court, qu’en est-il de l’Evangile de ce jour mis en lien avec la nécessité du dialogue interreligieux ?

Pour répondre à cette question, je vais tâcher d’enlever une ou deux ronces et quelques pierres qui entravent régulièrement le chemin lorsque nous lisons ou entendons cette phrase du Christ, particulièrement lorsque nous la citons hors de son contexte[2].

Enlevons d’abord les épines emmêlées de la  fausse tolérance répandue en nos contrées. La tolérance totale est une illusion, car on ne peut pas, et heureusement, tout accepter et tout admettre. Personne ne peut s’arroger d’être au-dessus des lois. Et nous l’avons vu au cours de notre retraite, le mal doit être reconnu et pour cela nommer et dénoncer comme tel.

Il arrive aussi que la tolérance serve d’alibi et soit utilisée comme une sorte de protection pour ne pas entrer en matière sur les sujets devenus difficiles à aborder, entre autres lorsqu’il s’agit de questions religieuses. Sous couverture d’ouverture tous azimuts, nos contemporains rejettent souvent les Eglises. A la fausse tolérance, qui ne veut surtout pas être dérangée dans son prêt à penser, je préfère de loin le respect. De dernier implique que nous allions avec délicatesse vers celles et ceux que nous sommes chargés de rencontrer et que nous les écoutions d’abord pour construire une relation de confiance.

« Je suis le chemin, la vérité et la vie ».

Face à cette affirmation, une deuxième pierre qui bloque sa compréhension peut être enlevée. Celui qui parle ici est le Christ et cela a une très grande importance, car cela veut dire que c’est Dieu lui-même qui se fait chemin, vérité et vie pour nous. L’originalité de l’Evangile se joue précisément dans cette initiative de Dieu qui ne désespère jamais de l’être humain et qui ne se lasse jamais de lui donner l’occasion d’emprunter le chemin de la foi. Ici la vérité est bien plus que simplement l’adéquation entre un dire et un faire (ce qui reconnaissons-le est déjà beaucoup !), la vérité proposée par le Christ n’est autre que la vérité proposée par Dieu le Tout Autre. Christ vit dans une communion sans confusion, et une dépendance absolue à Dieu. C’est lui le véridique, autrement dit celui à qui l’on peut se fier totalement. Confesser sa foi, c’est aussi confesser un écart, une distance entre mes représentations humaines de Dieu et ce que j’en dis par le langage. De plus, Dieu n’a pas besoin d’être défendu, il se défend tout seul. Et je n’ai pas besoin de déployer une argumentation sophistiquée pour défendre son existence. Karl Barth avait raison quand il disait en substance « Seul Dieu parle bien de Dieu ». Seul Dieu est absolu. Autrement dit, Dieu seul est complètement délié. Toute vérité humaine  a son fondement en Lui.

Il faut alors oser tirer toutes les conséquences de cette affirmation théologique. Si Dieu est Dieu, et seul absolu, cela signifie aussi que tous nos discours humains sur Dieu sont relatifs et que personne ne peut s’arroger le droit d’incarner la vérité ou de prétendre la posséder. Et cette tâche qui fait de nous des envoyés de Celui qui est l’Envoyé par excellence nous donne la teneur de notre témoignage : attester de la présence aimante de Dieu.

Arrivés à ce point, nous pouvons enlever encore une autre pierre qui obture régulièrement la lecture que nous faisons de ce texte.

L’Evangile de Jean s’adresse à la communauté des disciples. C’est-à-dire que les disciples doivent les premiers s’appliquer à eux-mêmes ce qu’ils ont entendu. Ils sont appelés à expérimenter que le Christ est le meilleur chemin qui conduit à la vérité. Or, la foi est un apprentissage qui dure toute une vie. Ici aussi la mention des destinataires est capitale. Car la mention des récepteurs indique qu’aucune religion n’est faite pour être regardée de loin. La compréhension des religions, qui tire du côté des cartes postales, induit en erreur. Il s’agit d’aller y voir vraiment, de marcher vraiment dans le paysage. Ainsi, on peut bien sûr contempler le Cervin et le trouver très beau sur une illustration, mais il viendra peut-être un jour où l’envie de le voir de près viendra. Et là il faudra bien se décider pour savoir de quel côté on s’engage, et par quel chemin on va l’approcher. Pour voir et expérimenter ce que la foi chrétienne offre, il s’agit de parcourir « pour de vrai » le chemin. Le Saint-Esprit conduit à cette décision ; il confère cette audace et il donne l’impulsion du courage pour qu’on aille y voir par soi-même.

Je récapitule brièvement :

« Je suis le chemin, la vérité et la vie » est une phrase qui appartient à L’Envoyé de Dieu, et à lui seul. C’est lui qui en a l’exclusivité, elle n’appartient ni à moi-même, ni à mon prochain. Je ne peux m’en servir comme d’un bâton pour contraindre les autres. Ce verset est adressé aux disciples pour les inviter à quitter leurs positions de spectateurs et à reconnaître qu’il vaut la peine de marcher sur le chemin de la vérité que Dieu trace pour nous.  La vérité apporte une force qui n’est autre que celle de la vie. Dans l’Evangile de Jean, elle est couplée au commandement d’amour, et on ne saura assurément entrer dans le dialogue religieux sans y mettre tout le savoir faire, toute la volonté et toute notre capacité d’aimer.

C’est dans l’esprit du commandement d’amour que nous chantons le très beau tropaire orthodoxe de Pentecôte :

« Béni sois-tu pour tes bienfaits, ô Christ notre Dieu,

toi qui fis descendre sur tes Apôtres le Saint-Esprit,

transformant par ta sagesse de simples pêcheurs d’hommes

dont les filets prendront le monde entier

pour qu’il chante ta louange. »

Amen.

 

 

[1] Sur ce point, voir Christopher Lasch & et Cornelius Castoriadis, La culture de l’égoïsme, trad. Myrto Gondicas, Paris, Flammarion, coll. Climats, 2012, p. 98-99.

[2] Cette prédication est largement redevable à : Jean Zumstein, L’Evangile selon Saint Jean (13-21), Genève, Labor et Fides, CNT IVb, 2007, p. 63-69.

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