actes pastoraux
Il est utile de travailler la question des interactions pour penser la question d’une communauté chrétienne ouverte sur le monde. L’enjeu dans le culte étant aussi de passer d’un d’auditoire donné à la construction d’une communauté chrétienne. Le chrétien est de fait dans une situation de pluri appartenance. (Une mono appartenance serait dangereuse car elle serait le symptôme d’une réalité sectaire qui se coupe des autres membres de la société)
Cette idée intègre le fait que le chrétien étant placé devant plusieurs instances (cf. les coram luthérien) il est nécessairement placé devant des interactions de loyauté[1] : il est une personne et pas seulement un individu.
La notion de personne est polyphonique : la personne est à la fois individu irréductible et en même temps un être de relations. De plus, et à la suite de Dietrich Bonhoeffer, j’ajoute l’idée de communauté comprise comme une personne collective Cette définition inhabituelle de la personne se trouve aussi en droit où elle est finalement d’acception courante. En effet, les juristes ne parlent de personne morale pour désigner un groupement ou une association ayant une capacité juridique.. Ainsi, Dietrich Bonhoeffer nous parle de l’Eglise en tant que personne éthique. La notion de personne me permet de dépasser la question fort débattue aujourd’hui de l’individualisme contemporain, puisque la personne intègre et en même temps dépasse les attitudes individualistes et communautaristes. L’individualisme se caractérise aujourd’hui par le repli dans la sphère du privé et l’indifférence à autrui. Le communautarisme place, quant à lui, les règles d’un groupe donné au-dessus des lois de l’Etat nation.
Le rôle des pronoms tu et nous en ecclésiologie et en homilétique et liturgique
Le langage n’offre pas seulement des contenus, mais il recèle également la possibilité de se situer par rapport à autrui. A ce titre, les pronoms jouent un rôle central dans les liens tissés entre les êtres humains ainsi que dans l’évocation et l’invocation de Dieu. « La parole est […] mise en œuvre d’une distance au monde, distance aux autres et distance par rapport à soi, que le sociologue Norbert Elias décrit comme l’‘aptitude de l’homme à s’extraire de lui-même et à se considérer comme une existence à la deuxième ou troisième personne’. ».[2]
L’analyse des pronoms personnels revêt une grande importance, car les pronoms sont des « indicateurs indéterminés permettant de rattacher les opérations linguistiques aux acteurs »[3]. Ils sont le lieu où peut se spécifier adéquatement la nature des rapports institués entre divers partenaires.
Le rôle du ‘je’
La personne qui dit ‘je’ ne peut devenir elle-même qu’à deux conditions : d’une part qu’elle puisse éprouver au plus intime d’elle-même le fragile sentiment d’exister et d’autre part, qu’elle reçoive tout au long de son existence le regard d’un ou d’une autre. Les deux sont liées et nous renvoient aux rôles essentiels du ‘tu’.
Le rôle du ‘tu’ « Le moi prend sa source dans le seul toi ; la responsabilité ne tire son origine que de la revendication »[4]. Le ‘tu’ nous invite ainsi à la réponse et cette réponse peut se présenter de deux façon. D’une part, elle peut être liée au langage et à ce moment-là devenir superficielle ; mais d’autre part elle peut répondre de la situation dans laquelle se trouve autrui. Dans ce dernier cas, nous répondons à la question « feras-tu cela ? », en nous y engageant. L’exemple paradigmatique est la parabole du bon Samaritain, qui répond à la situation du blessé. Cette réponse engage tout son être. Le ‘je’ qui s’implique présuppose une attention à autrui, un autrui qui est différent du ‘je »
La relation n’appartient ni au ‘je’ ni au ‘tu’, elle est le lieu de la rencontre entre ces deux personnes. La communauté commence par la prise de conscience que chacun est appelé à la fois à décliner son ‘je’ et à respecter le ‘tu’. Et cela nous renvoie au ‘nous’ communautaire.
Le rôle du ‘nous’
Dietrich Bonhoeffer, pour expliciter le rôle de l’Eglise dans son livre Communion Sanctorum, s’appuie sur la notion de personne. Cette dernière prend naissance quand elle accepte que son ‘je’ est interpelé et aussi transformé par un ‘tu’. Ce ‘tu’ est à la fois le prochain et Dieu. Dans les deux cas, l’individu, pour s’ouvrir à autrui ou à Dieu, doit renoncer à son autarcie et à son amour propre. Il doit se laisser rencontrer par ce qui est différent de lui. L’hypothèse qui guide donc le travail homilétique c’est que la communauté, autrement dit l’ensemble des gens qui apprennent à dire ‘nous’, se rassemble pour écouter l’Evangile et partager le pain et le vin de la cène. Ils ne sont donc pas réunis d’abord par leur sentiment et leur ressenti (l’expérience aujourd’hui est trop souvent absolutisée et considérée comme point de départ), mais par la volonté de se rassembler autour d’un hôte étranger. Cet hôte étranger, qui est le Christ incognito, se donne à connaître à travers une Ecriture. C’est dans cette perspective que je comprends la formule de Dietrich Bonhoeffer « le Christ qui existe en tant que communauté »[5].
On renvoie à l’indifférencié, à la rumeur, à la foule marquée (selon les synoptiques) par son ambivalence. Selon Heidegger, il est le lieu de la médiocrité et de l’inauthenticité.
Il où Ils et elle où elles sont les lieux des non personne, même si l’on inclut dans l’énonciation des personnes (par ex « eux, mes amis »). Il et elle sont donc absents de l’espace d’interlocution entre deux personnes.
Le Christianisme face à la question de la vérité
La question de l’indifférence à la question de la vérité
Le bullshit est « l’indifférence à l’égard de la vérité ». […]Une culture de post-vérité émerge dès lors que le bullshit se généralise dans la communication humaine. Enfin, le bullshit est lié aux « fake news » (informations fausses ou « bidons »), soit la propagation d’informations sans fondement factuel via les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Instagram…)[6].
Pragmatisme et relativisme et culture de l’immédiateté
Le pragmatisme, qui se donne à lire comme une absolutisation de la réalité telle qu’on la voit, est une manière de refuser l’entier de la vérité en se focalisant sur les faits visibles et mesurables.
Il ne faut pas confondre la relativité des points de vue (cf. les centres de perspective selon Genette) et le relativisme (qui est une forme d’idéologie) qui affirme qu’il ne vaut pas la peine de chercher la vérité et donc d’en débattre.
Nous distinguons également le rationnel (nécessaire aux sciences) et le raisonnable (qui relève du jeu de l’argumentation) : les opinions, les croyances et les valeurs sont aussi susceptibles d’être défendus par la raison.
Dans une culture de l’immédiateté l’efficacité et le succès sont plus important que la quête la véracité.
Que signifie dire la vérité ?
Nous relisons quelques passages de l’article de D. Bonhoeffer « Que signifie dire la vérité ? » (qui vous a été remis par les bons soins d’Elian). Avec DB nous éviterons le cynisme et le bavardage en réfléchissant aux responsabilités et aux risques pris pour dire la vérité.
Vérité chrétienne et universalisme
A partir des paroles en « Je suis » du Christ nous réfléchissons a la question du témoignage Face (Dieu seul absolu = non lié) toutes parole humaine est relative et ne peut prétendre à elle seule détenir la vérité.
Les formules en "je suis" du Christ
Le Christ se fait l’ambassadeur de Dieu parmi les êtres humains. Il ne se rend pas témoignage à lui-même, mais la vérité qu’il défend n’est autre que sa relation confiante à Dieu. Son témoignage repose sur le fait qu’il vit dans une dépendance totale avec son Père.
Le "je" des disciples et l’aide du Paraclet
La cascade des témoignages johannique se poursuit à travers la figure ambivalente des disciples. La figure de Pierre dans sa fougue et son reniement même en constitue sans doute l’exemple le plus significatif. Or la liste des témoins continue, avec aussi le difficile apprentissage qui va du doute à la foi
Face à la quête de vérité du christianisme, nous récusons un universalisme chrétien surplombant, qui a été parfois et malheureusement celui de l’Église. Mais nous prônons un universalisme itératif dispersé sur la surface de la terre et en ce sens œcuménique, qui reprend les données scripturaires et les symboles de la foi chrétienne en les interprétant dans et pour une culture donnée.
Le service comme acte éthique
« C’est seulement par ceux qui sont sans espoir que l’espoir peut renaître »[7].
Le travail du « faire mémoire » inclut l’émergence des souvenirs personnels et s’inscrit dans le travail de deuil. Ce travail permet au prédicateur et à ses auditeurs de jeter une fragile passerelle entre la personne décédée et son « inscription dans le livre de vie » autrement dit dans la mémoire de Dieu. De plus, la relecture du passé d’une personne décédée permet aux participants du service funèbre de réinvestir le présent et ouvre sur un avenir collectif. La célébration des services funèbres comporte ainsi une dimension éthique.
Cet engagement présuppose une évocation de la vie du défunt mise en intrigue dans le cadre du service funèbre avec la liturgie et la prédication. Elle intègre tant que faire se peut également les éléments apportés par la famille et les amis.
- Une piste possible pour parler de la résurrection des morts, « L’inscription dans le livre de vie »
« Réjouissez-vous de ce que vos noms sont inscrits dans le livre des cieux ». Marc Faessler commente ainsi ce motif apocalyptique tiré ici de [Luc 10, 20b ] : « La résurrection du Crucifié Ressuscité est la trace parmi nous de l’amour de Dieu en Christ ; ce qui ressuscitera de nous en Dieu est la trace de l’amour des autres et de l’amour de Dieu dont notre nom propre est le signe symbolique »[8]. L’insistance sur le don du nom en lien avec la résurrection permet de souligner que « la résurrection des corps spirituels » est à mettre en lien avec « l’identité irréductible » de chacun et chacune d’entre nous. C’est donc bien autour de l’identité à laquelle nous sommes appelés que se joue la résurrection. Le don du nom est lié au vocatif qui ouvre un devenir possible. Ce que nous sommes n’a pas encore été révélé complètement et notre identité sera aussi transformée pour être inscrite dans la « mémoire de Dieu », même si bien sûr ce terme est à nouveau une manière humaine pour parler de ce qui nous dépasse.
Puis nous prenons acte que le service funèbre est le lieu de la réhabilitation de toute vie y compris les vie minuscules (P. Michon) pour éviter que l’on puisse dire « On m’oublie tel un mort effacé des mémoires » (Ps 31, 13).
En finale de ce temps consacré au culte nous entendons la prédication de Céline construite sur le récit lucanien de la transfiguration du Christ (Luc 9, 28-36).
Félix Moser, Prof. ém., Peseux le 14 mars 2019
[1] Voir le développement essentiel et transposable aisément pour notre propos de Ivan Boszormenyi-Nagy et Géraldine M. Spark, Unsichtbare Bindungen, Die Dynamik familiärer Systeme, Stuttgart, Klett-Cotta, 1995.
[2] Philippe Breton, Eloge de la parole, Paris, Éditions la Découverte, 2003, p. 49.
[3] J. Ladrière, L’articulation du sens II. Les langages de la foi, Paris, Cerf, 1984, p. 58.
[4] Dietrich Bonhoeffer, Textes choisis, trad. Lore Jeanneret, Paris & Genève, Le centurion & Labor et Fides, 1970, p. 92.
[5] Dietrich Bonhoeffer, Sanctorum Communio. Eine dogmatische Untersuchung zur Soziologie der Kirche, Göttingen, Chr. Kaiser Verlag, 2005, p. 33.
[6] Interview de Sebastian Dieguez par Roman Ikonicoff, in Les cahiers sciences et vie, Histoire et civilisations, no 183 janvier 2019 parution 1/8, p. 86-88.
[7] Walter Benjamin, « Les affinités électives de Goethe » in Œuvres, tome 1, trad. de l’allemand par Maurice de Gandillac, Rainer Rochlitz et Pierre Rusch, Paris, Gallimard, coll. Folio Essais No 374, 2000, p. 395.
Dans la Version Allemande : « Nur des Hoffnungswillen ist die Hoffnung gegeben » in GS I, p. 201. Je reprends la citation du film d’Alain Tanner Chrales mort ou vif. En réalité le cinéaste ne rend pas tout à fait justice à cette phrase qui dans sa littéralité parle de ceux qui ont la volonté ( Willen !) de s’en sortir.
Pour un commentaire de cette sentence, voir Françoise Proust, L’histoire à contretemps, le temps historique chez Walter Benjamin, [abrégé par la suite L’histoire à contretemps], Paris, Cerf, coll. Biblio Essais No 4278, 1994, p. 102.
[8] Marc Faessler, « Résurrection, interprétation du Retable de Beaune », bulletin du CPE No 8, Février 1999, p. 15.