recension Marie-Jo Thiel L'Eglise catholique face aux abus sexuels sur mineurs, ETR 2020/4
Marie-Jo Thiel, L’Église catholique face aux abus sexuels sur mineurs, Montrouge, Bayard Éditions, 2019. 23 cm. 718 p. ISBN 978-2-2274-9603-3. 24,90 €. (
« La vérité germe sur la terre et la justice se penche du ciel » Ps 85 (84). Il est sans doute inhabituel de commencer une recension par une citation d’un psaume mais, réflexion faite, c’est sans doute la seule manière de rendre compte avec équité d’un ouvrage de plus de 700 pages abordant la lourde réalité des abus sexuels dans le cadre de l’Église catholique. La réalité des abus existe également ailleurs, notamment dans les familles. Mais l’auteure se concentre sur la réalité de l’Église catholique.
Ce livre est tout entier consacré à la vérité et à la justice en posant ces trois interrogations cadres : comment les abus sexuels ont-ils pu exister dans l’Église catholique, mais encore pourquoi, et comment, ont-ils pu être couverts jusqu’au plus haut niveau de la hiérarchie ?
L’auteure fait germer la vérité en commençant par relever les faits objectifs et statistiques. Un aperçu historique nous fait découvrir pourquoi et comment les abus sexuels ont été perpétrés sur des mineurs et sur des religieuses. La factualité historique est documentée par un impressionnant matériau : textes du droit canonique, discours et déclarations, en particulier ceux des papes Jean-Paul II, Benoît XVI et François, ou encore rapports émanant de pays comme l’Irlande, l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Australie, le Chili et les USA. Ces documents éclairent le phénomène des abus sexuels dans l’histoire récente et le présent. L’auteure mentionne aussi des textes émanant de la société civile, notamment les lois et les juridictions des différents pays ainsi que les chartes des organisations mondiales, par exemple la Convention internationale des droits de l’enfant, entrée en vigueur le 18 janvier 2002. Les éléments de ce volumineux dossier sont analysés à chaque fois dans leur contexte, ils permettent ainsi au lecteur de mieux comprendre pourquoi ces scandales éclatent aujourd’hui. La libéralisation des mœurs (par-delà le fait qu’elle ait permis une éphémère et sordide apologie de la pédophilie), la progression du féminisme et le travail des médias ont favorisé la difficile germination de la vérité.
Mais il y a plus. L’auteure s’adosse aux protocoles d’audition libérant enfin la parole des victimes. En effet, il est indispensable de passer des règles universelles énoncées dans l’abstrait à une prise en compte de la parole singulière de chaque personne abusée. Ces énonciations individuelles permettent à l’auteure de développer la vérité médicale de son étude. Les traumatismes et les chocs psychologiques ainsi que les séquelles (en particulier les sentiments de honte et de culpabilité éprouvés par les victimes) sont relatés avec empathie.
L’auteure cherche également à comprendre quels diagnostics poser sur les agresseurs qui ont sévi dans le cadre de l’Église catholique et ailleurs. Elle enquête en particulier sur les motifs qui poussent certains religieux à passer à l’acte. Pour ce faire, elle met en réseau la culture du secret par le biais de la pénitence et de la confession, le cléricalisme qui amène à considérer le prêtre comme étant au-dessus des lois, le célibat imposé et son difficile vécu par certains ainsi que l’idéalisation du sacerdoce empêchant une lecture objective des abus sexuels. Elle établit les liens existant entre tous ces aspects. Ces analyses conduisent donc l’auteure à mettre en lumière une vérité de type systémique.
En conclusion de son livre, Marie-Jo Thiel examine les moyens susceptibles d’enrayer les abus sexuels. La prévention, le signalement (la responsabilité de celui qui écoute une victime est engagée), et la pression sur les autorités ecclésiales sont des moyens indispensables. L’accompagnement des victimes peut et doit se faire en collaboration avec tous les professionnels de la santé et avec les hôpitaux. C’est en équipe qu’il faut aider les victimes, et il s’agit de ne jamais laisser ces dernières seules face à ce drame.
Le mérite de cette théologienne est de reprendre la question des abus sexuels au sein de l’Église catholique, sans langue de bois, avec indignation, mais sans jamais se transformer en justicière.
Le livre ouvre un chemin d’espérance lié au rétablissement de la justice. Celle-ci doit nécessairement rencontrer la vérité. La tolérance zéro, voilà le mot d’ordre qui doit entrer dans les faits.
Juillet 2019